Avez-vous regardé la dernière intervention de Jean-Marc Jancovici sur le changement climatique ?
Elle éclaire et elle bascule comme chaque intervention de Jancovici.
Je vous propose une synthèse personnelle de son intervention juste après la vidéo intégrale.
Jancovici sur le changement climatique : vidéo et résumé
France Info : Est-ce que l’été que nous venons de connaître marquée par la canicule, la sécheresse, les incendies et les intempéries ça a été le déclic de la prise de conscience du dérèglement climatique ?
Jancovici : Selon un sondage qui a été publiée, il y a un français sur cinq de plus qu’avant qui dit avoir réalisé cet été que les conséquences du réchauffement climatique était déjà là.
Avant cet été il y en avait trois sur cinq. Donc maintenant on arriverait à 4 sur 5.
Maintenant il faut voir ce que ça signifie en termes d’efforts qu’on est capable de porter seul ou bien de souhaiter pour la société dans son ensemble
Faut-il s’habituer à vivre ce qu’on a vécu cet été ?
Alors ça va pas devenir la norme mais ça va devenir la borne inférieure malheureusement.
Le problème du réchauffement climatique c’est qu’il faut depuis toujours essayer d’éviter quelque chose qui ne s’est pas produit et de faire en sorte qu’il ne se produise jamais. C’est très difficile pour les animaux que nous sommes car on n’a pas l’habitude de se comporter comme ça. En général on voit d’abord les dangers puis une fois qu’on l’a vus on fait ce qu’il faut pour que ça se répète pas là.
Le problème du réchauffement climatique c’est qu’il y a une inertie absolument considérable, c’est à dire qu’une fois que le co2 est dans l’atmosphère il met très longtemps à s’évacuer. Donc une fois qu’on a dégradé le climat on ne peut pas revenir en arrière.
Tant qu’il y a une tonne qui continue à être émises par les activités humaines, le climat continue à se dégrader.
Ce qui nous est arrivé cet été c’est malheureusement absolument certain qu’il va y avoir pire dans les années qui viennent.
Même si on arrêtait tout d’un coup de baguette magique ça continuerait pendant combien de temps ?
La température atmosphérique s’arrêterait d’augmenter très rapidement.
Par contre la températures des couches profondes de l’océan continuerait d’augmenter.
Les glaces continuerait de fondre pendant des siècles et des millénaires après qu’on ait arrêté les émissions.
Même si on disait que le climat ne va pas se dégrader par rapport à ce qu’il est aujourd’hui il y a déjà 10% de la forêt française qui va mourir par répétition de conditions que les arbres ne peuvent plus supporter.
On est incapable aujourd’hui de dire qu’on va faire zéro émission de gaz à effet serre, en revanche le gouvernement invoquent le mot sobriété (faire attention à la consommation d’énergie, débrancher les prises électriques, baisser la climatisation), est-ce que ça ça sert vraiment à quelque chose ?
Si on veut faire des grosses économies il faut faire des gros gestes.
Et où sont les gros geste ?
Chez les français, ils sont dans les déplacements.
C’est le pétrole qui domine en France et pas l’électricité.
Donc débrancher le wifi c’est bien mais partir en vacances en train c’est mieux.
Et encore :
- le chauffage
- le confort des bâtiments
- l’industrie
Il y a un outil qui permet de savoir sur quels postes chacun d’entre nous doit travailler en priorité. Il s’appelle l’empreinte carbone personnel => (vous pouvez faire votre calcul par ici).
Vous pouvez également lire : Comment réduire l’empreinte carbone de mon alimentation
Le gouvernement a pour le moment renoncé de recourir à la contrainte pour les particuliers en ce qui concerne la réduction de consommation d’énergie. En revanche Elisabeth Borne va demander aux entreprises de réduire de 10% leur consommation d’énergie sous risque de sanction. Elle a raison d’être plus ferme avec les entreprises parce que c’est là qu’il y a des grosses dépenses d’énergie ?
C’est très difficile de répondre à cette question sans savoir exactement quel est le dispositif qui va être proposé par le gouvernement.
Je vais prendre un exemple tout bête, dans le transport routier le carburant représente un quart des dépenses. Ces sont des entreprises qui ont des marges assez faible alors si vous arrivez à économiser 10 % de carburant ça fait 2.5% de marge en plus. Je peux vous assurer que tous les transporteurs seraient ravis de faire ça si il pouvait le faire d’un coup de baguette magique.
Qu’est-ce que ça veut dire pour eux en pratique d’économiser de l’énergie : soit d’aller moins vite, soit de changer la flotte de camions donc des investissements.
Donc économiser 10% d’énergie ce n’est pas quelque chose qui peut se faire sans contrepartie.
Ce que je ne sais pas c’est quelle contrepartie madame Bornes va accepter et est ce que ça va impliquer une réduction d’activité à cause des prix de l’énergie actuelle.
Vous avez des entreprises qui ont déjà fait plus de 10% d’économies d’énergie sauf qu’ils ont aussi réduit leurs activités. Par exemple les fondeurs d’aluminium : produire de l’aluminium ça se fait par électrolyse, ça consomme des quantités absolument considérables d’électricité et aujourd’hui vous en avez qui sont obligés de se mettre à l’arrêt à cause des prix de l’électricité.
Réduire l’activité des machines sans réduire l’activité économique il y a des cas de figure dans lesquelles c’est impossible.
Est ce qu’on peut faire baisser notre consommation d’énergie uniquement sur la base du volontariat ?
Non ça n’ira pas assez vite.
Il y a deux contraintes en ce qui concerne l’énergie :
- contrainte aval c’est-à-dire il faut limiter les émissions pour éviter que les péripéties que nous avons eu cet été ne soit qu’un apéritif devant ce qui nous attend
- contrainte amont c’est-à-dire que les combustibles fossiles sont épuisables. Donc une fois que vous les avez sorti de terre c’est fini, on ne peut pas en recréer d’autres. La quantité de pétrole et de gaz qui sera disponible dans quelques décennies sera au mieux la moitié de ce qu’on a aujourd’hui et ça pourrait être beaucoup moins.
Aujourd’hui tout ce qu’on a c’est des gens comme moi qui s’excite sur des plateaux de télé et des gens de bonne volonté à droite et à gauche qui disent ‘je vais quand même essayer de faire un effort’.
On voit bien que l’ensemble de tout ça ne va pas assez vite.
Il y a déjà un certain nombre de gens pour qui ça fait déjà mal et ce qui va se passer c’est que la partie des gens pour qui ça fait mal va augmenter.
Elisabeth Borne a annoncé qu’un fonds vert d’1 5 milliard d’euros allait être mis à disposition des collectivités, comment doit-on l’utiliser ?
La première chose que les collectivités doivent faire est de correctement former leurs équipes.
Il y a une très bonne manière d’en rajouter au problème, c’est de se presser de confondre vitesse et précipitation et donc de se précipiter vers des choses qui semblent pertinentes en apparence et qui en fait ne traitent pas le problème voire éventuellement l’amplifient.
On a rendu un travail qui s’appelait résilience des collectivités territoriales et où on essayait de faire un certain nombre de préconisations pour les élus locaux face à la décrue énergétique et aux conséquences du réchauffement climatique.
Notre première recommandation c’est de consacrer 1% du budget des collectivités locales à acquérir de l’information et de la formation.
Et une fois qu’on a informé toutes les équipes, comment on fait ?
On fait de manière contextualisée.
La façon dont vous allez répondre à la contrainte quand vous êtes dans une commune de Savoie ça va pas être la même réponse qu’à Morlaix par exemple.
Donc il y a des éléments qui sont communs, par exemple avec moins de pétrole y a moins de mondialisation et donc tout ce qui vient de Chine sera plus difficile d’accès pour les savoyards comme pour les bretons. Par contre il y a des choses qui sont locales et très contextualisées.
C’est là qu’on tombe sur quelque chose qui est ennuyeux, c’est que le pouvoir politique central veut toujours des trucs baguette magique qui vont produire des résultats en trois mois. Malheureusement la réponse aux problèmes dont on est en train de parler c’est des réponses lentes parce que il y a un gros besoin d’organisation et il y a un gros besoin de formation et ça c’est pas des trucs qui ne se font pas en une semaine.
Est-ce que la réponse pour vous passe aussi par la fin du capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui ?
Ce qui est absolument certain c’est que le capitalisme financier mondialisé a énormément d’effets pervers dans la prise en compte des limites environnementaux.
Ne pensez pas que les investisseurs vont mettre l’argent là où c’est rentable aujourd’hui c’est à dire dans la transition énergétique ?
Je crois que malheureusement prise de manière globale la transition énergétique n’est pas rentable, parce que ce qui a fait la croissance c’est l’abondance des énergies fossiles donc dans un monde où les énergies fossiles sont en décroissance rapide le pib est en contraction.
Les énergies renouvelables c’est pas source de richesses ?
L’eau : il y a de plus en plus de problèmes.
Même la Norvège qui pourtant est un pays assez arrosé a des problèmes de remplissage de ses réservoirs de barrage.
Donc l’énergie renouvelable hydroélectrique en Europe n’augmente plus depuis maintenant un certain temps et il y a un vrai risque que ça se mette à baisser à cause du déficit de pluviométrie.
En ce qui concerne l’éolien et le photovoltaïque les dispositifs de production sont pas renouvelables du tout ils sont faits de métal et il y a deux limites :
1) Déployer de manière massive ces dispositifs demande un accès aux métaux qui est fortement augmenté or les mines dans le monde ont besoin de plus en plus d’énergie pour produire la même quantité de métal dans un certain nombre de domaines.
2) Il y une alerte de l’Agence internationale de l’énergie en disant peut-être que les mines de cuivre actuellement en exploitation vont atteindre leur maximum de production
Vous dites les énergies fossiles il va y avoir une pénurie on ne peut pas les renouveler, les énergies renouvelables on n’aura pas les métaux nécessaires, on fait quoi donc ?
C’est là qu’on tombe sur la sobriété.
On va devoir faire avec moins.
Macron a parlé de la fin de l’insouciance et de la fin de l’abondance malheureusement il a raison.
Quand on regarde le mode de vie d’un smicard français aujourd’hui comparé à quelqu’un de bien lotis y a deux siècles on se rend compte qu’en fait le smicard d’aujourd’hui a beaucoup plus de choses.
Donc faire avec moins et faire avec le nucléaire c’est là où votre discours diverge de celui de la plupart des écologistes en France
Je fais partie des gens qui considèrent que le nucléaire :
- est du bon côté de la barrière
- on peut l’exploiter même dans un contexte de contraction économique
- est une énergie qui est paradoxalement plus low tech que le solaire ou le photovoltaïque parce qu’on a besoin d’un système électrique moins sophistiqués pour l’exploiter.
Aujourd’hui la moitié des cinquante-six réacteurs nucléaires en France est fermée à cause de risques de corrosion ou d’opérations de maintenance il y a aussi le problème de l’eau pour refroidir les réacteurs et malgré tout ça vous dite le nucléaire c’est super!
Il n’y aura pas de solution miracle dans cette affaire.
Je fais partie des gens qui pensent que le déploiement massif de l’éolien et du solaire pour tout remplacer n’arrivera pas parce que il y aura beaucoup trop de limites physiques.
On va rentrer dans un avenir dans lequel on va devoir augmenter notre prise de risque c’est à dire peut-être ouvrir des réacteurs même avec une part de risque.
Le risque nucléaire est plus faible que le risque d’un défaut massif d’approvisionnement électrique?
C’est sûr.
Si vous avez un défaut massif d’approvisionnement électrique vous avez :
- systèmes de communication qui ne fonctionnent plus
- transports qui ne fonctionnent plus
- systèmes de soins qui ne fonctionnent plus
- systèmes de chauffage qui ne fonctionnent plus
Et ça fait beaucoup plus de morts que la quantité de morts que vous pourriez avoir à cause d’un accident dans le réacteur.
Donc on va faire du bénéfice risque avec le nucléaire ?
On l’a toujours fait du bénéfice risque sauf que sur le nucléaire on ne fait pas nécessairement avec les bonnes informations.
Aujourd’hui on est plutôt dans le principe de précaution.
Dans le monde risqués et volatils vers lequel on se dirige on va devoir avoir une autre approche du bénéfice risque.
Alors une chose que je ferai peut-être c’est d’obliger quelqu’un quelque part à produire des avis sur l’arbitrage bénéfices risques et aujourd’hui cet avis on ne l’a pas.
Vous premier ministre vous interdisez les jets privés ou pas ?
Quels sont les avantages et les inconvénients de faire ça ?
C’est clair qu’en termes de consommation de carburant c’est pas quelque chose qui est majeure dans le pays.
Par contre c’est une mesure que j’appelle à effet de levier parce qu’il y a un côté exemplarité.
A partir du moment où vous allez demander à une bonne partie des gens qui pensent sincèrement qu’ils ne peuvent pas faire sans leur voiture pour leurs déplacements du quotidien c’est compliqué de dire ‘je ne vais mettre aucune contrainte à des gens qui rentrent dans un jet privé parce qu’ils ont la flemme d’aller dans un aéroport normale et qu’ils vont gagner deux heures et que pour eux quand même gagner deux heures ça vaut bien d’émettre quelques dizaines de tonnes de co2’ …
C’est quand même très compliqué de dire ‘A ces gens-là je ne leur demande aucun effort’
Merci pour cette interview de Mr Jancovici. Pour agir face aux enjeux ? Je dessine ! vous pouvez découvrir ma série en cours de réalisation : « Vanité », dont le rapport du GIEC est à l’origine : https://1011-art.blogspot.com/p/vanite.html
Et « La robe de Médée » , en ce moment exposition « Tout contre la terre » (Muséum de Genève) : https://1011-art.blogspot.com/p/la-robe-de-medee.html
Les crayons de couleur ne sont néanmoins pas un glaive bien tranchant face aux enjeux ….